médecin et patient

Contexte international : le passage à la voie transpérinéale s’accélère 

Depuis plusieurs années, la communauté médicale assiste à un changement progressif dans la pratique des biopsies prostatiques. Jusqu’à présent, la voie d’abord transrectale était largement utilisée pour le diagnostic du cancer de la prostate. Cependant, cette méthode comporte un risque accru d’infections, notamment de septicémies, liées à la contamination bactérienne via le rectum. Pour limiter ce risque, un traitement antibiotique prophylactique est systématiquement prescrit avant l’examen. Mais cette stratégie préventive soulève des enjeux importants, notamment en matière d’antibiorésistance, et ne suffit pas toujours à prévenir les complications infectieuses graves. 

Des études montrent qu’entre 1 % et 7 % des patients subissant une biopsie transrectale développent des complications infectieuses, dont certaines nécessitent une hospitalisation ou même une prise en charge intensive. Aux États-Unis, les taux observés s’inscrivent dans cette fourchette, atteignant jusqu’à 5 %. 

En Norvège, l’augmentation alarmante des taux de résistance aux antibiotiques prophylactiques a conduit à un tournant décisif. Une étude nationale publiée en 2019 a révélé que la résistance dEscherichia coli à la triméthoprime-sulfaméthoxazole (TMP-SMX) est passée de 35 % en 2013 à plus de 60 % en 2015, tandis que celle à la ciprofloxacine a atteint 45 % en 2016. Cette évolution a entraîné une hausse notable des hospitalisations (jusqu’à 10 % des patients concernés) ainsi qu’une augmentation de 261 % du taux de mortalité à 30 jours post-biopsie transrectale. 

Ces chiffres ont eu un impact médiatique fort en Norvège, conduisant à une transition rapide vers la biopsie transpérinéale, considérée comme beaucoup plus sûre et associée à un risque quasi nul d’infection post-procédure. 

 

Pourquoi la voie transpérinéale ? 

La biopsie transpérinéale consiste à accéder à la prostate via une voie périnéale, en évitant toute traversée du rectum. Cette approche, de plus en plus privilégiée dans les pratiques urologiques modernes, présente plusieurs avantages cliniquement documentés : 

  • Réduction très significative des infections post-biopsie : plusieurs études internationales confirment des taux d’infection inférieurs à 1 % avec la voie transpérinéale. 

  • Diminution de la consommation d’antibiotiques : puisque le risque infectieux est moindre, il devient possible de limiter les antibiothérapies prophylactiques, contribuant ainsi à la lutte contre l’antibiorésistance. 

  • Meilleur accès à certaines zones de la prostate, notamment les régions antérieures, souvent sous-diagnostiquées par voie transrectale. 

  • Bonne tolérance : réalisée sous anesthésie locale, elle est bien acceptée par les patients, y compris en ambulatoire. 

En Scandinavie, cette méthode est désormais majoritairement adoptée, suivie de près par l’Australie et certaines unités universitaires aux États-Unis. 

Source : Are Transperineal Prostate Biopsies  the Key to Minimizing Infection Risks? (Civco)

Étude clé de 2024 : confirmation des bénéfices en milieu hospitalier français

En 2024, une étude française multicentrique publiée dans Progrès en Urologie a confirmé les bénéfices cliniques de la biopsie transpérinéale dans un contexte hospitalier réaliste.

Étude : "Sécurité et précision diagnostique de la biopsie transpérinéale guidée IRM-US fusion en France"

Cette étude a inclus 320 patients issus de huit centres hospitaliers universitaires (CHU), comparant les deux techniques de biopsie prostatique : 

Les résultats confirment une baisse significative des complications infectieuses et une meilleure expérience du patient lors de sa prise en charge avec la voie transpérinéale. 

PARAMÈTRE TRANSRECTALE (%) TRANSPÉRINÉALE (%)
Infections post-opératoires 4.7 0.3
Hospitalisation nécessaire 3.1 0.6
Satisfaction patient 78 92


Situation en France : enjeux et perspectives
 

En France, la biopsie transrectale reste largement majoritaire. Selon une enquête menée par l’Association Française d’Urologie (AFU), plus de 80 % des biopsies prostatiques sont réalisées par voie transrectale. Toutefois, les signaux d’alerte sont clairs : 

  • Augmentation de la résistance aux fluoroquinolones : en particulier dans les grandes villes, où la prévalence des bactéries multirésistantes complique la gestion prophylactique. 

  • Risque d’infections graves : selon les données de Santé Publique France, les infections liées aux soins (y compris celles post-biopsie) restent un enjeu majeur de santé publique. En 2022, l’enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales a montré que les actes invasifs urologiques étaient responsables d’un nombre non-négligeable d’infections acquises en milieu hospitalier. 

Face à ces défis, des initiatives françaises se multiplient pour encourager la transition vers la voie transpérinéale. 

Étude BIOPROSTABORD : résultats attendus en 2025 

Lancée en décembre 2023 à Bordeaux, l’essai clinique BIOPROSTABORD (NCT05763355) représente une avancée importante dans la recherche française sur la sécurité des biopsies prostatiques. 

Il s’agit d’une étude multicentrique, prospective et randomisée, coordonnée par la Cellule Recherche Clinique Nouvelle-Aquitaine, qui compare les deux techniques de biopsie prostatique : 

  • Voie transpérinéale sans antibiothérapie prophylactique 

  • Voie transrectale avec antibiothérapie prophylactique classique 

L’objectif principal est de démontrer que la voie transpérinéale permet de réduire significativement le risque d’infections post-biopsie, tout en maintenant une qualité diagnostique équivalente. 

L’étude vise à inclure 596 patients sur une période de 18 mois, avec des résultats attendus pour le second semestre 2025. Elle pourrait jouer un rôle décisif dans l’évolution des recommandations françaises et influencer potentiellement la mise à jour des bonnes pratiques par la Haute Autorité de Santé (HAS). 

Cadre réglementaire et recommandations en France 

La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié en 2021 un document de cadrage sur les biopsies prostatiques ciblées, soulignant la nécessité de revoir les pratiques en fonction des données probantes internationales. Bien que la voie transrectale reste autorisée, la HAS encourage fortement la formation des praticiens à la voie transpérinéale, en particulier dans les centres spécialisés. 

De plus, un groupe de travail national a été mis en place en 2024 pour évaluer les bénéfices de la voie transpérinéale en France, en tenant compte des coûts, de la sécurité et de la disponibilité des équipements. 

Conclusion : vers une évolution incontournable 

La biopsie prostatique transpérinéale représente une alternative sûre, efficace et adaptée aux réalités sanitaires actuelles. Face à l’essor de l’antibiorésistance et à la pression sur les systèmes de santé, sa généralisation apparaît comme une évolution logique et nécessaire. 

Les données norvégiennes ont marqué un tournant, suivi par l’adoption progressive en Europe du Nord. Aujourd’hui, avec l’étude BIOPROSTABORD et les nouvelles données de 2024, la France amorce cette transition. 

D'ici 2026, on peut espérer voir une adoption progressive de la voie transpérinéale comme standard de soins en France, avec une priorité donnée à la sécurité des patients et à la préservation des ressources antibiotiques. 

Sources :